dimanche 17 mars 2024

Vie privée (IVe)

Après un épisode sur la vie privée de nos ancêtres, un second sur RGPD et vie privée et un troisième sur la vision de la vie privée par les plateformes, cet article va essayer de se pencher sur la notion d'identité liée à la vie privée.

La réflexion part d'un article de Christopher Allen sur le blog d'Ethereum France s'interrogeant sur l’importance de l’identité décentralisée dans l'histoire. Pour donner un peu de contexte, Ethereum est un protocole d'échanges décentralisés permettant la création par les utilisateurs de "contrats intelligents" bancaires. Ces "contrats intelligents" sont déployés et consultables publiquement dans une blockchain. Il s'agit donc de transactions de nature scripturale, un peu comme chez un notaire mais infalsifiables et décentralisées (car copiées en parallèle de nombreuses fois, ce qui en garantit l'authenticité.

Que nous dit Christopher Allen ? Et bien il participe à un groupe qui définit une identité décentralisée et soumet sa réflexion à l'histoire en en déduisant les lignes morales qui doivent éviter les écueils des systèmes précédents. Son exemple pris pendant la Seconde Guerre mondiale, compare deux pionniers en matière d'identité, le Néerlandais Jacobus L. Lentz et le Français René Carmille, qui ont traité très différemment la collecte et l'enregistrement des données d’identification des personnes. Le résultat : 75 % des Juifs néerlandais ont été victimes de l'Holocauste, à comparer aux 23 % des Juifs qui l’ont été en France. Le rappel historique extrait de son article est en italique ci-dessous.

Dès 1936, un décret exige que chaque résident des Pays-Bas possède une carte d'identité personnelle, une copie devant être portée sur soi et un duplicata archivé dans les archives civiles. Ces archives contenaient également une mine d'informations sur l’identité des personnes, y compris le genre, la race, l'ethnie, la profession, le domicile, les relations familiales et la religion. Elles étaient centralisées dans un seul bureau pour chaque région des Pays-Bas et utilisaient les mêmes systèmes afin de rendre les données interopérables et de s’assurer de leur utilité dans le cadre de la planification et de la gestion administrative. Ces registres furent des cibles prioritaires pour les envahisseurs nazis suite à l’occupation du pays en mai 1940. Les nazis comprenaient leur immense valeur dans le cadre de la chasse aux Juifs et autres “indésirables”. Très vite, Lentz disposa de cartes d’identité qui pouvaient être comparées aux fichiers correspondants du registre central de l’état civil, qu’il avait réorganisé afin d’en améliorer l’accès. Même si une carte était contrefaite, le registre servait de référence. Dès septembre 1941, les registres étaient mis à jour à partir d’un recensement minutieux des juifs néerlandais, chacun d’entre eux étant désormais porteur d’une carte arborant une grande lettre J.

En France, l'histoire commence avec René Carmille, ingénieur, officier de la Première Guerre mondiale, et espion pour le Deuxième Bureau pendant la guerre. Le travail de Carmille s’appuyait sur la technologie des cartes perforées, utilisée également aux Pays-Bas, mais qui était plus importante aux yeux de Carmille. Dès 1935, il développe un registre pour l'armée française, aux fins de conscription et de mobilisation. Carmille propose alors un numéro personnel à douze chiffres (passé à 13 chiffres après l'occupation et la division de la France). Ce numéro pouvait être utilisé pour déterminer la date et le lieu de naissance d'une personne, ainsi qu'un "profil personnel complet”, incluant des détails sur les compétences professionnelles et d'autres attributs.En 1940, les nazis tentent de recenser les Juifs français, mais ils rencontrent des obstacles notables. En particulier, les pouvoirs en place n’avaient pas collecté d’information sur les appartenances religieuses depuis 1872. Il n'y a également pas assez de tabulatrices (lecteurs de cartes perforées) pour consigner les informations sur la population française. En novembre 1940, René Carmille crée le "Service Démographique de Vichy", ouvre des bureaux des deux côtés de la ligne de démarcation, commande des tabulatrices pour 36 millions de francs, et annonce un nouveau recensement des citoyens français. Il compte remplacer l’approche "anarchique" de l’enregistrement des données du recensement par une méthodologie plus moderne ; à la suite de quoi, les citoyens français devraient avoir sur eux des "cartes d'identité uniformes", permettant d’accéder à des informations précises sur leur activité professionnelle. Le nouveau recensement de Carmille rectifierait également l'omission de longue date des données personnelles religieuses en France, en les incluant dans la "colonne 11" qui exigerait des Juifs participants de non seulement déclarer leur propre religion, mais aussi celle de leurs grands-parents. En apparence cela satisfaisait l'occupant nazi mais René Carmille a programmé ses machines pour ne jamais perforer de données pour la colonne 11 et a dissimulé plus de 100,000 cartes perforées de Juifs dans son bureau. René Carmille fut arrêté par les nazis en février 1944, soumis à l’interrogatoire par un tortionnaire nazi, et envoyé à Dachau, où il mourut en janvier 1945.

Christopher Allen identifie ce qu'a fait René Carmille comme une forme précoce de minimisation des données et de divulgation sélective, et justifie la création d'identité "auto-souveraine" (c'est à dire une identité dont l'utilisateur choisit à qui il diffuse quelles données) et dans laquelle l'accès minimal aux données personnelles est établi afin de pouvoir faire des choses, sans pour autant empiéter sur la vie privée, la dignité et l’intégrité des personnes. Il rappelle qu'en enregistrant notre genre, notre orientation sexuelle, notre religion, notre affiliation politique, ou même juste nos livres, films et chansons préférées, nous nous rendrions ainsi vulnérables aux politiques de discrimination, ou bien pire encore.

Mais à mon sens il oublie un élément fondamental du contexte des années d'occupation, la possibilité qu'ont eu un certain nombre de faussaires de créer des identités factices pour les juifs ou pour les résistants. En particulier en France il convient de se souvenir des rôles d'Adolfo Kaminsky, de Pierre Kahn ou de Maurice Loebenberg, pour n'en citer que quelques-uns. Ils se sont appuyé aussi bien sur des talents de faussaire que sur des éléments factuels comme la disparition des archives d'état-civil dans le sud des Ardennes durant la 1ere guerre mondiale, pour forger des identités plus vraies que vraies. J'en déduis que la notion d'identité infalsifiable, même s'il nous est offert de n'en divulguer qu'une partie, ne suffit pas vraiment à toutes les possibilités de dérive qu'auraient un état totalitaire qui pourrait accéder à l'intégralité des informations détenues par la blockchain. Espérons que ces jours sombres ne viendront pas.

dimanche 10 mars 2024

Un blog non propulsé par l'IA mais qui vous en parle

Nous vous avons déjà parlé plusieurs fois des apports de l'Intelligence Artificielle (IA) à la généalogie sur ce blog, comme par exemple pour parler d'identification des individus sur les photos anciennes, de portraits robots de nos ancêtres militaires, de lecture paléographique assistée, d'amélioration de photos anciennes ou de cas questionnant moralement comme les pseudo-conversations avec des défunts.

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lundi 5 février 2024

Les archives d'internet

Jusqu'à très récemment existaient trois archivages principaux d'internet pour les francophones - le premier s'appelle Wayback Machine un service de la plateforme Internet Archive tente d'archiver au fur et à mesure le web mondial. Il est accessible en ligne - le second s'appelle Heritrix, un service de la BNF qui archives les sites français au nom du dépôt légal du Web. Il n'est pas interrogeable en ligne mais sur les postes informatiques des salles recherche de la BnF et dans les bibliothèques de dépôt légal imprimeur en région - le dernier était un service de Google basé sur leur notion de cache. Il archivait aussi l'ensemble du clear web mondial. La recherche était accessible en ligne mais de manière un peu complexe depuis 2013, comme le montre ce tutoriel

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dimanche 21 janvier 2024

Quitter Facebook (IIIe)

Les généalogistes vont-ils rester sur Facebook ?

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lundi 1 janvier 2024

Bilan 2023 (IIe)

Moyenne de diffusion des posts FB, janv. 2024

Deuxième partie (la première est ici) pour vous parler de notre présence sur les réseaux sociaux. Globalement les articles que nous avons postés ont été encore moins diffusés par Facebook que l'an dernier.

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dimanche 31 décembre 2023

Bilan 2023

Billet récapitulatif de l'année nous allons tenter de tirer un bilan de l'année 2023.

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mardi 26 décembre 2023

Quitter Facebook (IIe)

Nous avions laissé en suspens la dernière fois le fait de savoir s'il faut quitter Facebook à titre individuel. La lecture "L'âge du capitalisme de surveillance" de la sociologue Shoshana Zuboff, professeure émérite à la Harvard Business School, peut nous aider à comprendre ce que sont les réseaux sociaux commerciaux, quels sont leurs buts affichés, et probablement une partie de leurs buts cachés.

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mardi 14 novembre 2023

Quitter Facebook

Depuis quelques jours, nous vous avons annoncé sur notre page d'accueil comme sur Facebook, notre décision de nous éloigner de ce média.

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samedi 14 octobre 2023

ADN et Généalogie XXXe

adn.JPG, nov. 2021

30e épisode de notre série ADN. Encore une fois beaucoup d'informations compilées dans un seul billet de blog sans forcément de liens entre elles.

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vendredi 23 juin 2023

La colonisation techno-culturelle

Par leur proximité avec l’utilisateur, les Intelligences Artificielles (IA) auront plus d’influence sur la culture, la façon de penser et la moralité dans nos pays que Google, Netflix et même le ministère de l’Éducation. Le problème de l’IA est que cela crée un monde chantant à l'unisson, dirigé par la même baguette normalisatrice (et sur lequel nous n'avons que très peu d’influence).

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jeudi 18 mai 2023

De nombreuses pages personnelles de généalogie vont disparaître en septembre prochain

L’opérateur Orange annonce que son service « Pages perso » va cesser le 5 septembre 2023. Tous les sites web associés vont disparaître, sauf s’ils migrent d’ici là vers d'autres hébergements.

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dimanche 2 avril 2023

Cachez cette culture que je ne saurais voir (IVe)

Dans cette série de tartufferies (d'Accent 1,2,3) , de Nom (1,2,3) ou de Culture (1,2, 3), nous allons cette fois ci en voir une autre mise en perspective historique.

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dimanche 26 mars 2023

Nouveau siphonnage de sites généalogiques par un site commercial

Dans un premier épisode, nous vous parlions du siphonnage de Find-A-Grave par Peoplelegacy. Cette fois-ci les photos du même Find-A-Grave ainsi que sa maison-mère Ancestry ont été siphonnés par PimEyes qui permet la recherche d'image inversée et la recherche d'images d'une même personne. Il y faut payer 20$ par mois pour savoir d'où l'image provient, 30$ pour des recherches multiples et 80$ pour des recherches approfondies...

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samedi 11 mars 2023

La généalogie non mercantile : un otium (IIe)

Il y a deux ans, en écrivant le premier post consacré au sujet, inspiré par la lecture du livre "Otium - art, éducation, démocratie" de l'historien Jean-Miguel Pire, nous pensions avoir fait le tour du sujet. Cependant, la lecture d'un autre ouvrage "La tyrannie du divertissement" de l'universitaire Olivier Babeau permet d'apporter un éclairage complémentaire.

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samedi 25 février 2023

Associations généalogiques : tout à réinventer (Xe) ?

Au rythme d'un post par an de puis 2015, nous essayons de parler de la problématique des associations.

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samedi 21 janvier 2023

Les mariages multiples

Il existe des actes dans certains registres qui nous apparaissent comme bizarres. Ceux dont nous allons parler aujourd'hui sont rares mais se retrouvent néanmoins dans toute la France en particulier au 17e et 18e Il s'agit d'actes de mariage qui ne concernent pas qu'un seul couple mais plusieurs. Comme en général, lorsque l'on fait des recherches, on regarde les premiers noms et prénoms du couple, les autres étant des témoins, cela ne peut que nous inciter à être particulièrement attentifs. Cela explique aussi que nous trouvions dans des dépouillements la date d'un mariage que nous ne retrouvons pas dans le registre (ou l'inverse).

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dimanche 1 janvier 2023

Blog & réseaux sociaux de FGW : bilan 2022 (IIe)

Deuxième partie (la première est ici) pour vous parler de notre présence sur les réseaux sociaux. Globalement les articles que nous avons posté ont été encore moins diffusé par Facebook que l'an dernier. Il est à documenté que les algorithmes de cette entreprise privilégient des contenus payants ou plus clivants et générateurs de publicités, ce qui défavorise clairement les contenus associatifs.

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samedi 31 décembre 2022

Blog & réseaux sociaux de FGW : bilan 2022

Comme chaque année désormais, nous allons tenter de tirer un bilan de l'année 2022.

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mardi 27 décembre 2022

ADN et Généalogie XXIXe

adn.JPG, nov. 2021

Presque un an qu'on ne vous avait pas parlé d'ADN mais quelques informations méritent d'être commentées. Quelques liens en anglais car certaines informations ne sont pas traduites.

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vendredi 14 octobre 2022

Connaissez-vous les plus anciennes entreprises françaises ?

De nombreuses entreprises françaises ont une longue histoire et vos ancêtres y ont peut-être travaillé. Certaines qui ont fermé il y a moins de dix ans sont mentionnées

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