Un nouvel épisode pour vous parler de l'ADN des morts. Comme montré dans l'épisode 5 il y a un biais d'expérimentation à comparer des ADN de vivants pour en déduire l'origine géographique de nos ancêtres. Cela revient pour celui qui n'est plus dans la région d'origine à supposer que ses ancêtres ont laissé des descendants dans la dite région et donc que les migrations de masse, persécutions et épidémies n'ont pas eu de prise sur leur descendance. Ca peut bien sur fonctionner mais dans de nombreux cas ça se heurte assez rapidement aux réalités de l'histoire.
Le fondateur de MyHeritage, Gilad Japhet, sans doute conscient de ce biais, a fait une conférence à Oslo en Novembre dernier où il a présenté les lettres d'amour de sa grand-mère dont les timbres et l'enveloppe ont été léchées par sa grand-mère afin de les faire coller. Il a alors annoncé que sa compagnie serait en mesure prochainement d'analyser l'ADN au dos de ces timbres ou de ces enveloppes. Deux autres jeunes entreprises (en Angleterre ou en Australie) proposent le même service pour environ 500$ par test ! Cela pose une première question de fiabilité de ces nouveaux tests, comment être sûr que c'est bien la grand-mère qui a apposé sa salive, et non sa soeur, sa meilleure amie ou son chien ?
Comme le souligne l'article de The Atlantic à ce sujet, même si un certain nombre de généalogistes semblent très demandeurs de ces nouvelles sources de données cela pose de nouvelles questions éthiques car ces techniques pourraient s'applique à des traces de salive laissés par des vivants. Comment s'opposer à des tests de paternité faits à l'insu de l'intéressé (le père ou l'enfant) ou ouvrir la boite de Pandore de ceux qui chercheront à retracer des lettres anonymes ? L'une de ces entreprises demande juste une attestation sur l'honneur que l'enveloppe vient d'un membre de la famille décédé... on est loin d'une protection réelle. MyHeritage lui pense limiter le nombre d'artefacts testables et interdire les appareils dentaires, les brosses à dent et les vieux vêtements (sic) et interdira dans ses conditions de vente de ce nouveau test de tester l'ADN de personnes vivantes. Il demandera à ce que l'ADN collecté soit celui d'un proche et légalement acquis ou alors celui d'une célébrité.
Cela pose donc la question d'éthique de savoir si on peut tester l'ADN des morts. Blaine Bettinger un généalogiste professionnel américain dit que "les morts n'ont habituellement plus de vie privée (et donc les droits s'y rattachant) et en ce qui concerne les célébrités elles en ont encore moins mais elles ont souvent des descendants vivants avec lesquels elles partagent de l'ADN et ces personnes vivantes ont un droit au respect de leur vie privée". Blaine Bettinger nous rappelle que "ça ne devrait pas être un problème puisque nous ne demandons pas à nos proches et à nos descendants non encore nés leur accord pour faire un test sur nous alors que ça les affecte tous" ! C'est pour moi justifier l'injustifiable en disant qu'on est déjà conscient de faire des choses amorales donc autant continuer.
On voit d'ailleurs comme signalé dans les commentaires de l'épisode 14, que les autorités de certains états américains se questionnent quant à prélever systématiquement l'ADN des morts pour des raisons de fichage avec l'argumentaire suivant : ça peut servir à résoudre des "colds cases", c'est un bien public (sic) qui pourrait faire sortir de prison des personnes accusées à tord, ça devrait avoir une valeur marchande pour la recherche, les morts n'ont probablement plus de droit à la vie privée (sic), c'est socialement plus acceptable de prélever systématiquement l'ADN à la mort qu'à la naissance.
Et pourtant un scientifique comme Chip Colwell, professeur d’anthropologie à l'université du Colorado, le rappelle la science n'a pas tous les droits sur l'ADN des morts. Un consentement est nécessaire et de s'appuyer sur le rapport Belmont qui insiste sur le fait que les chercheurs biomédicaux doivent respecter les gens, essayer de faire le bien, éviter les préjudices et répartir équitablement les risques et les avantages de la recherche et de conclure "Bien que ces directives soient destinées à des sujets vivants, elles fournissent un cadre pour réfléchir à la recherche sur les morts, puisque celle-ci finit par affecter les vivants. Une bonne manière de travailler est de rechercher le consentement éclairé des individus, des parents, des communautés ou des autorités légales avant de mener des études.". Je vous conseille la lecture de cet article édifiant sur la "ruée vers l'os (sic)" des universitaires et tous ses travers.
Si les universitaires sont conscients de ne pas avoir tous les droits sur l'ADN des morts, les gouvernements et les généalogistes ne devraient-ils pas se poser la même question ?
6 réactions
1 De Guillaume - 06/05/2019, 18:34
Et voila Léonard de Vinci est une célébrité, son ADN est donc vu comme testable sans limite par la foule. A lire sur L'Express
2 De Guillaume - 23/05/2019, 23:44
Les questions éthiques liées au prélèvement et à l'utilisation de l'ADN (et du sperme) des morts rebondissent après l'autorisation d'un tribunal américain faite à des parents concernant le sperme de leur fils unique mort dans sa deuxième décennie. C'est à lire en français sur le site de Courrier International
Petit extrait :
Pour Arthur Caplan, professeur de bioéthique, l’histoire de Peter Zhu est “un casse-tête éthique”, écrit le Washington Post. Il explique qu’aucune procédure n’a été définie pour recueillir le consentement des défunts quant à l’utilisation de leur patrimoine génétique et qu’il n’y a pas de règle précisant à qui revient la décision dans le cas où les défunts n’auraient pas fait part de leur choix. Cela laisse beaucoup de questions en suspens. Le défunt aurait-il voulu un enfant conçu avec une mère porteuse ? Par qui aurait-il voulu que son enfant soit élevé ? À quel moment aurait-il souhaité que l’enfant connaisse la vérité ?
Arthur Caplan n’approuve pas la décision de la Cour : il désapprouve l’immixtion des parents dans les droits reproductifs de leurs enfants. Selon lui, ce droit devrait revenir aux conjoints ou aux époux.
3 De Guillaume - 26/01/2020, 10:34
Pour pallier la pénurie de donneurs de sperme et faire face à la demande des cliniques de fertilité, la Grande-Bretagne, qui importe au moins 7000 échantillons chaque année en provenance principalement du Danemark et des États-Unis, envisage les dons de sperme des hommes décédés. C'est à lire sur le site genethique
4 De Guillaume - 14/06/2020, 12:06
La question éthique de l'utilisation de l'ADN des morts, semble avoir été tranchée au Quebec dans le cas particulier des sépultures anonymes, en croisant ADN et le fichier Balsac qui renferme les informations généalogiques de 400 ans de Québécois. Pour l'instant sur les 6 sépultures du 18e siècle ainsi violées, une seule a pu être identifiée. C'est à lire sur le site Nouvelles du Web
5 De Guillaume - 05/01/2022, 18:37
Les tests sur des timbres ont été utilisés en Suisse pour faire une analyse de paternité post mortem nous raconte en anglais Wired
6 De Guillaume - 26/03/2023, 12:55
Un article de Science et Avenir nous parle de l'analyse ADN des mèches de cheveux de Ludwig van Beethoven et nous disent qu'elles "éclairent sa mort et son passé mystérieux (sic)". Un important marqueur génétique appuie l'hypothèse de la cirrhose, des traces de l'hépatite B mais aucune explication de sa surdité sont ainsi pointées via cette analyse. Là où les auteurs s'écartent du sujet est quand ils écrivent "Ludwig van Beethoven n'est pas le descendant de son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père en étudiant les similitudes du chromosome Y entre cinq personnes, qui représentaient des lignées indépendantes partageant un ancêtre commun avec Aert van Beethoven (1535-1609), l'arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père de Beethoven. Les données généalogiques desdits descendants, dont cinq portent le nom de van Beethoven, sont solides, et leurs ADN concordent d'ailleurs entre eux. Comme montré dans l'un des épisodes de cette série il est tout a fait possible de n'avoir aucun loci venant d'un ancêtre déterminé, encore une fois la conclusion tirée (l'infidélité) est très probable mais non garantie.