Depuis plusieurs mois, une notion appelée « cancel culture » qui a fait son apparition aux États-Unis, arrive en France. Au départ il s'agit d'une « culture de l’annulation » une « culture de l'effacement » qui consiste a effacer de son environnement ce qui va à l’encontre de la pensée dominante dans un groupe militant, qui souvent milite pour une cause noble : féministes, antiracistes, pour les droits des personnes LGBT,...
Le magasine Stylist, cité par Martin Pimentel dans Causeur, nous en donne une version plus précise : "Dorénavant, dès que quelque chose ne nous plait plus, on peut l’annuler dans la minute : forfait de téléphone, course Uber, abonnement Netflix. Alors pourquoi ne pas annuler aussi les humains".
Comme le souligne la traduction de la philosophe et sociologue Natalie Wynn sur le site Madmoizelle, la « cancel culture » souffre de 8 caractéristiques :
- La présomption de culpabilité (les victimes qui témoignent DOIVENT être crues, les accusés sont FORCÉMENT coupables)
- L’abstraction (qui remplace les détails concrets et spécifiques d’une revendication par une déclaration plus générique afin de créer une culpabilité)
- L'essentialisme (quand on passe de la critique des actions d’une personne à la critique de la personne elle-même)
- Le pseudo-moralisme (les prétextes que nous trouvons pour justifier d’actes normalement répréhensibles)
- L’absence de pardon (malgré ses excuses publiques, et même si les accusations se sont avérées être un tissu de mensonges, l’histoire ressortira à chacun des faits et gestes d'une personne "cancelled")
- La contagiosité (si une personne soit dénoncée, ses amis, ses proches, ses collaborations sont passées au crible et pris à partie)
- La vision manichéenne (les personnes sont soit bonnes, soit mauvaises, sans qu’aucune nuance ne puisse être apportée.)
- La souffrance provoquée (les menaces et les cyber-harcèlements laissent des traces)
D'après le politologue Eric Branaa, cette notion de « cancel culture » est l’héritière des séances de délation publique tenues par les puritains à leur arrivée aux USA. Au sein des gouvernements locaux appelés "caucus", auxquels tous les citoyens participaient, il fallait tout dénoncer en public, par exemple les adultères. C'est dans ce cadre puritain qu'eut lieu le procès des sorcières de Salem en 1692 dans le Massachusetts, qui conduisit à l'exécution de 25 personnes, accusées de sorcellerie. La question philosophique "faut-il distinguer l'homme de l'artiste" est ainsi tranchée de façon manichéenne et leurs actions immorales (à l'aune d'aujourd'hui) sont reprochées à personnalités des siècles passés. Gauguin a été proposé a être "cancelled" par le New-York Times fin 2019 (à lire en français sur le site de Marianne). Le Figaro nous montre les 3 catégories de statues qui pourraient être déboulonnées si l'on suit les demandes de ces nouveaux censeurs
Ce mouvement dérive ainsi de plus en plus vers une autre traduction possible de « cancel culture » ou le mot cancel n'est plus traduit comme un nom mais comme un verbe, il s'agit alors de « détruire la culture » tel un autodafé moderne. Il s'agit alors de ne plus heurter la sensibilité de personne, et cela crée comme le montre France24 de nouveaux métiers de "sensitivity readers" qui vont vérifier qu'aucun élément les choquant n'apparait fonction de leur sexe, de leur couleur de peau ou de tout autre critère.
De même le monde du Scrabble s’interroge aussi sur l’interdiction des insultes racistes et sexistes en compétition et l'on apprend ainsi l'envie de l'association nord-américaine des joueurs de Scrabble de retirer 238 mots du dictionnaire officiel de la discipline ! D'ailleurs les termes antisémites ont déjà été retirés dans les années 1990. En France aussi les éditions récentes du dictionnaire du scrabble ignorent aussi certain mots. On se croirait dans la société de 1984 de George Orwell ou la novlangue réduit le langage pour réduire toute possibilité de conceptualiser plus large que le cadre voulu.
L'humoriste Christophe Bourdon sur la radio de la RTBF La 1ere a fort bien résumé le problème : à vouloir supprimer tout ce qui heurte la sensibilité de quelqu'un on se retrouve dans un monde vide sans culture, sans histoire, un monde de présent sans passé ni avenir. Et de nous citer le livre 1984 : " Tous les documents on été détruits ou falsifiés, tous les livres réécrits, tous les tableaux repeints, toutes les statues, les rues, les édifices ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Que le parti puisse étendre le bras vers le passé et dire d'un évènement cela ne fut jamais, c'était bien plus terrifiant que la simple torture ou la mort. La dictature s'épanouit sur le terreau de l'ignorance"
Enfin, seule réaction, dans une lettre ouverte publiée sur le site de la revue américaine, Harper’s Magazine, plus de 150 auteurs et personnalités intellectuelles mettent en garde contre une forme de censure inédite exercée par des minorités – ou pour leur compte – qui se prétendent dépourvues de tout pouvoir politique, économique et médiatique. Comme nous le dit Jerémy Stubbs dans Causeur cette nouvelle censure qui s’exerce dans les universités, les maisons d’édition, les médias et même les entreprises, se caractérise par une « intolérance à l’égard des opinions divergentes », un « goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme » et une « tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. » Il s’agit d’exclure du discours public à la fois certains points de vue et les voix qui les portent. L’idéologie au nom de laquelle ces prohibitions sont imposées s'appelle le woke, ce politiquement correct dopé aux stéroïdes ...
9 réactions
1 De Guillaume - 12/08/2020, 08:53
Conclusion de cet article de The Conversation intitulé "La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux" : pour lutter contre la pratique de la Cancel Culture, ne pas la pratiquer soi-même.
2 De Guillaume - 27/08/2020, 10:05
Le roman "Dix petits Nègres" d'Agatha Christie change de nom. Le mot « nègre », cité 74 fois dans la version originale du récit, n’apparaît plus du tout dans la nouvelle édition traduite par Gérard de Chergé. L’arrière-petit-fils de la romancière britannique, James Prichard, dirigeant de la société propriétaire des droits littéraires et médiatiques des œuvres d’Agatha Christie explique « Quand le livre a été écrit, le langage était différent et on utilisait des mots aujourd’hui oubliés ». C'est à lire sur Le Devoir
3 De Guillaume - 03/09/2020, 19:32
L'Historien Christophe Vuilleumier apporte une réflection intéressante sur le sujet sur son blog
4 De Guillaume - 24/01/2021, 17:55
La philosophe Julia de Funès s'insurge également contre la cancel culture, à voir sur le site d'Europe1
5 De Guillaume - 22/07/2022, 17:52
À Paris, le retour de la statue de Voltaire se fait longuement attendre, c'est à lire sur le site du Figaro
6 De Guillaume - 23/12/2022, 10:14
Comme annoncé lors de la rédaction de l'article le Scrabble interdit désormais des mots jugés offensants. Les joueurs de Scrabble ne pourront plus utiliser 400 mots discriminatoires de la langue française, suite à une décision du fabricant américain de la célèbre boîte de jeu. C'est à lire sur France3
7 De Guillaume - 19/04/2023, 18:40
Les livres d'Agatha Christie vont être réécrits pour faire disparaitre ce qui est jugé offensant. L'ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot craint qu'on ne puisse plus jouer Molière dans 10 ans. C'est à lire sur Programme TV
8 De Guillaume - 10/06/2023, 10:19
Un député a déposé une proposition de loi « visant à protéger l’intégrité des œuvres des réécritures idéologiques » à l'Assemblée nationale.. C'est à lire sur Actualitté
9 De Guillaume - 06/08/2023, 16:03
Encore une soixantaine de mots censurés cette année par l'équipe du Scrabble. C'est à lire sur Le Figaro