Nous avons été contacté par un internaute qui de façon assez peu amène nous a accusé de ne rien comprendre aux tests récréatifs, en prenant pour argument central notre épisode 13 où des échantillons ADN de jumelles ou triplées monozygotes étaient comparés entre eux avec des résultats différents, ce dont nous nous faisions nos choux gras selon lui. Pour cet internaute, il était normal que les résultats divergent, cela étant dû aux erreurs de mesures et donc de nous accuser d'induire le public en erreur. Son interrogation mérite donc réponse sur le fond et sur la forme.

Commençons par la forme. L'article 13 précisait bien que ce n'était pas nous qui trouvions les résultats différents pour des jumelles monozygotes choquants, mais le docteur Mark Gerstein, un biologiste de l'université de Yale, et l'on peut légitimement supposer que ce biologiste sait comparer des tests de jumeaux monozygotes.

D'ailleurs de manière générale depuis le début de cette série d'article, nous avons cherché à appuyer nos arguments par ceux de professionnels soit dans les articles soit dans leurs commentaires. Sans vouloir faire argument d'autorité, mais pour rappeler qu'ils viennent de tous domaines et qu'il ne s'agit pas de quelques réactionnaires en voici la liste (non exhaustive) qu'ils soient

  • généticiens comme Pierre Darlu, directeur de recherche émérite au CNRS (cf épisode 1 & 11), David Balding et Mark Thomas de l'University College London (épisode 8), Guillaume Vogt et Henri-Corto Stoeklé, bioéthicien respectivement du Centre national de recherche en génomique humaine et du Laboratoire de génétique humaine négligée (épisode 14 & 15) ou Patrick Gaudray directeur de recherche au CNRS (épisode 18)
  • bioéthiciens comme Arthur Caplan de l'université de médecine de New-York (épisode 8 & 16), Kayte Spector-Bagdady de l'université du Michigan (épisode 12), Guido Pennings de l'université de Gand (épisode 15), Bernard Baertschi maître d'enseignement et de recherche en philosophie et éthique à l'université de Genève (épisode 15)
  • biologistes comme Mark Gerstein de l'université de Yale (épisode 13), David Reich de l'unversité d'Harvard (épisode 14)
  • anthropologues comme John Edward Terrell de l'université d'Harvard (épisode 11), Jean-Luc Bonniol professeur émérite à l'université Aix-Marseille (épisode 11), Chip Colwell de l'université du Colorado (épisode 16)
  • spécialistes en bio-informatique comme Christophe Dessimoz de l'université de Lausanne (épisode 11)
  • spécialistes en sécurité informatique comme Gary Kasparov consultant pour Avast (épisode 9), Alexander Raif chef de la cybersécurité chez Maccabi Health Care Services (épisode 14)
  • sociologues comme Joan Donovan et Aaron Panofsky de l'université de Californie (épisode 11), Catherine Bourgain de l'INSERM (épisode 15)
  • juristes comme Timothy Caulfield spécialiste de droit de la santé à l'université d'Alberta (épisode 11), Elizabeth Joh professeur à l'Université de Davis (épisode 17), Thierry Vallat, avocat spécialiste du droit numérique (épisode 17)
  • généalogistes professionnels comme Debbie Kennett, une généalogiste pro américaine (épisode 8) ou Blaine Bettinger un généalogiste pro américain (épisode 16)
  • journalistes comme Adam Tanner professeur à l'université de Fairbanks (épisode 14)

Venons en au fond. Les taux d'erreur des tests récréatifs ne sont pas communiqués par les sociétés les commercialisant mais en regardant d'autres sources, on voit que les séquenceurs ont des taux moyens d'erreur entre 1 et 2 %. Les résultats de deux jumelles peuvent donc sortir différents mais de 4% maximum si l'on admet que toutes les erreurs se cumulent. Ce qui choquait Mark Gerstein c'était que le taux d'erreur était largement supérieur. Les erreurs de mesure n'expliquent donc pas tout.

De plus les données lorsqu'elles sont post-traitées en particulier pour des analyses médicales par des sociétés tierces qui n'hésitent pas à montrer que les classifications des sociétés de généalogie génétique comportent jusqu'à 40% d"erreurs ! Stephany Tandy-Connor de la société Ambry Genetics Corporation a montré dans un article en anglais sur Nature, que l'on trouvais deux défauts dans les tests récréatifs (appelés DTC Direct To Customer en anglais) :

  • des résultats faux-positifs (identifier une séquence comme potentiellement source de maladie alors qu'elle ne l'est pas)
  • des résultats imprécis (des classements incorrects de séquences pathogènes comme bénignes et vice-versa), ce qui fait que tous les facteurs de risque ne sont pas identifiés

Cet état de fait amène des sociétés tierces comme ici (toujours en anglais) GPS Origins a déclarer que 23andMe fournit des données poubelle qui amènent à des interprétations incorrectes et à ne pas identifier tous les facteurs de risque impliquer dans une maladie. De manière ironique cet article leur suggère de se renommer 10andMe puisque seulement 10 des 23 chromosomes sont correctement indexés. On peut également regarder le cas édifiant (en anglais) de ce couple de docteurs Julie Kennerly-Shah and Summit Shah qui ont confié leur ADN à 23andMe puis ont transféré les données vers Promethease pour une analyse médicale. Ils ont d'abord reçu des analyses neutres puis en retournant plusieurs mois après ont vu des analyses inquiétantes de potentialité de cancer du rectum et de cancer de l’endomètre. Après des analyses complémentaires il s'agissait d'un faux-positif !

On peut donc légitimement se poser la question de la précision "généalogique" de ces tests, au regard de la forte imprécision (40%) de ce qui est fourni au niveau médical !

On peut également se questionner sur l'utilisation d'identifiants génétiques (des locii) dans de généalogies comme cela commence à se pratiquer au Québec. Si j'ai le marqueur A, cela peut vouloir dire trois choses :

  • j'ai hérité ce marqueur A de l'un de mes parents (l'un ou l'autre peuvent l'avoir, ou même les deux)
  • j'ai fait une recombinaison et le marqueur A est le résultat d'un mix entre l'ADN de mon père et celui de ma mère
  • j'ai muté et suis donc porteur de ce marqueur A mais aucun de mes parents ne l'a ni n'est porteur d'un morceau de ce marqueur

Si moi et mon cousin germain portons tous les deux ce marqueur, là encore il n'y a aucune certitude, nous avons pu tous les deux l'obtenir de notre branche commune, ou de l'autre de nos parents, ou encore recombiner ou muter. On va donc entrer dans des probabilités seulement de pouvoir prouver notre ascendance commune par l'ADN. Plus nous allons remonter dans les branches, plus ces probabilités seront faibles. Lorsque je vois des identifiants génétiques sur des personnes nées au 18e siècle, j'avoue que j'ai du mal à y accorder le moindre intérêt scientifique

*** Edit du 14/10/19 suite à l'excellente remarque de Jean-Claude Bregliano ***