Cette année ce sont une suite de commentaires sur un de nos posts Facebook qui alimentent la réflexion. Le post en question renvoie vers le site participatif des Archives Nationales. Les réactions à ce post montrent qu'un certain nombre d'internautes partagent une vision assez définie du rôle de chaque acteur, or les limites ne sont en fait pas forcément aussi clairement définies par leurs statuts respectifs.

La question du rôle des Archives, de la Fédé et des associations

Il est en effet reproché aux Archives Nationales (AN) de sortir de leur rôle en se lançant dans le participatif, ce rôle de participatif étant projeté par les internautes sur la Fédération Française de Généalogie (FFG). Pour rappel la mission des archives nationales est de collecter, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et mettre en valeur les archives publiques provenant des administrations centrales de l'État, les archives des notaires de Paris et des fonds privés d'intérêt national. La FFG, elle, ne regroupe que les associations qui veulent bien y participer afin de (suivant ses statuts) assurer la coordination et la promotion des activités généalogiques et annexes, représenter ses membres auprès des pouvoirs publics, des organismes étrangers analogues ou des instances nationales ou internationales, mettre en œuvre des actions ou des réalisations d'intérêt général et conseiller, informer, défendre et assister, tant ses membres que la généalogie en général.

Middle_Ages-b.jpgDonc en fait, les deux ont légitimité pour faire de l'indexation collaborative, les premières au titre de "communiquer et mettre en valeur les archives publiques", la seconde au titre de "mettre en œuvre des réalisations d'intérêt général". Pourtant la vision des internautes procède d'une certaine logique qui vient du domaine de la construction, la logique de maître d'ouvrage et de maître d’œuvre. Rappelons leurs rôles respectifs le maître d'ouvrage est la personne pour qui est réalisé le projet, il écrit le cahier des charges de ce qu'il désire en exprimant des besoins et non des solutions techniques. Le maître d’œuvre, quant à lui, est la personne choisie par le maître d'ouvrage pour la conduite opérationnelle des travaux en matière de coûts, de délais et de choix techniques. Comme nous le montre cette miniature d'une visite de chantier au Moyen Âge : le maître d'œuvre présente l'avancement au maître de l'ouvrage.

En fait l'indexation collaborative pose le problème de la relation au grand public, les AN ont-elles vocation a "employer" le grand public comme une ressource ? De même la FFG, dont les statuts ne s'adresse qu'à ses membres, a-t-elle vocation a demander au grand public (et donc en dehors des associations qui la compose) un soutien logistique ? Ne serait-ce pas par manque d'associations ad-hoc que la FFG ne peut pas assurer la coordination qu'elle revendique dans ses statuts ? Cela pose donc ultimement les questions pour les associations : leur but (il faut que ce but autorise le type de projet proposé), leur participation à la FFG, leurs moyens (financiers et humains) et leur politique de diffusion (gratuit ou payant).

Si j'extrapole dans un monde idéal, les archives (AN ou AD) numériseraient les fonds, la FFG organiserait l'indexation par la définition de standards, le choix des outils techniques, la répartition des tâches entre les différentes associations et les associations organiseraient le travail des bénévoles en leur apportant un soutien logistique, une organisation de terrain, des conseils, des formations en paléographie .... Si on pousse la logique jusqu'au bout la diffusion serait assurée par les archives puisque maitre d'ouvrage, avec une possibilité de reprendre et enrichir les données pour les associations ayant participé. N'est-ce pas la feuille de route que les associations et la fédération cherchent au moins depuis leur XXe congrès en 2008 (cf nos 4 entrées de blog #1 #2 #3 #4 sur l'avenir de la généalogie dont les réponses furent synthétisées et présentées en conférence de clôture, avec une piqure de rappel par Pierre Le Clercq après le XXIVe congrès en 2017 (cf opus 3 déjà cité) ?

La question du rôle de l'industrie de la généalogie

Il est également reproché aux AN par les internautes de "numériser des documents déjà numérisés par d'autres", et de citer des indexations visible sur Geneanet ou sur Filae. Le débat concerne aussi la ré-indexation concurrentielle qui a lieu entre les deux grands acteurs industriels, mais également entre groupes informels et associations, entre associations et entreprises. La question de l'ego n'est certainement pas à négliger, et on l'a vu a de maintes reprises dans l'associatif, les scissions commencent pour des raisons de mésententes puériles entre personnes. J'ai néanmoins tendance à penser que les questions d’accessibilité sont aussi pour beaucoup dans les réindexations. Si une ressource n'existe qu'en payant. alors des internautes risquent de se lancer dans une réindexation gratuite.

Comme souligné par les internautes c'est contre-productif vu le grand nombre de données non-indexées disponibles. Mais le monde associatif et le monde de l'entreprise ne parlent pas le même langage. Le monde de l'entreprise est basé sur le retour sur investissement, et choisit donc ses cibles dans le but de les rentabiliser au plus vite, alors que le monde de l'associatif est basé sur la passion, il choisi ses cibles si le sujet dégage suffisamment de consensus, peu importe sa rentabilité. On voit qu'il existe également une voie intermédiaire qui ne peut être pratiquée que si les bénévoles accordent une autorité à l'association. Dans ce cas, une sélection des cibles par une décision centrale est possible. C'est par exemple le cas de l'indexation des LDS sur Familysearch (on peut lire cet article de Clément Bècle pour mieux comprendre)

Cela montre aussi que le rôle des entreprises de généalogie n'est pas non plus très clairement établi. Elles n'étaient d'ailleurs pas citées dans mon extrapolation ci-dessus alors que les internautes qui réagissaient au post sur le site participatif des AN défendaient le rôle de Geneanet et Filae. Ont-elles vocation à héberger des images numérisées qui n'existent pas aux AD ? à fédérer des indexeurs bénévoles ? à sous-traiter de l'indexation à de la main d’œuvre dans des pays à bas couts ? à héberger des sites internet d'associations ? à héberger des arbres personnels ? à se lancer dans la généalogie génétique ?

La défiance envers ces acteurs privés est en train de monter doucement outre Atlantique. La porosité entre les bases de généalogie ADN et les enquêtes policières, les contrats d'assurance voire les sites de rencontre est en train de montrer doucement ce qu'une société où les données ne sont plus privées devient. Le documentaire belge "Ancêtres INC : Affaires de famille, affaires d'argent" de la RTBF montre que la recherche généalogique est peut-être la plus grande entreprise de recherches historiques jamais réalisée et l’une des plus grandes moissons de données sur les personnes jamais récoltée. Aussi pose-t-il la question est-ce que la circulation de nos données biologiques dans le grand brassage international des données, ainsi que le cumul des données d’état-civil des vivants et des morts doivent nous inquiéter ?