Comme le rappelait en septembre 2006 Laurent Pfister sur le site du bulletin des bibliothèques de France, le droit médiéval reconnaissait l’inexistence de la propriété intellectuelle : Nul libraire ne peut refuser un exemplaire à celui qui voudra en faire une copie. est écrit dans Statuta Universitatis Paris. De librariis et stationariis du 4 décembre 1316.

A partir du début du XVIe siècle, pour lutter contre la concurrence déloyale que leur causent les contrefaçons, des libraires et imprimeurs sollicitent et obtiennent de la monarchie des prérogatives exclusives d’exploitation des ouvrages, sous la forme de lettres de privilège. Cependant, les privilèges exclusifs sont strictement limités dans leur objet et dans leur durée si bien qu’ils demeurent l’exception. Sous réserve de la censure, le principe réside dans « la liberté publique » de l’impression, ancêtre du domaine public,

Au milieu du XVIIe siècle, afin de lutter plus efficacement contre les contrefaçons étrangères mais aussi contre les écrits huguenots, la monarchie étend considérablement le champ d’application des privilèges et réduit d’autant le domaine public. Protégeant des ouvrages toujours plus nombreux, les privilèges exclusifs cessent d’être une exception pour devenir la règle en matière de reproduction et de vente des livres. L’extension des privilèges ne profite qu’à une quelques grands éditeurs parisiens.

A partir de 1725 que les éditeurs parisiens s’efforcent de rendre leur monopole définitivement opposable à l’État royal qui menace de le leur retirer. Par la voix de leurs avocats, ils prétendent qu’ils détiennent sur les œuvres de l’esprit non pas des privilèges royaux mais une propriété privée perpétuelle et de droit naturel, qui leur a été cédée par ceux qui l’avaient acquise originairement en vertu de leur travail intellectuel : les auteurs.

En 1778, la monarchie reconnaît à l’auteur, pour le « récompenser de son travail », la propriété perpétuelle de son œuvre et du privilège d’exploitation et réglemente ses relations contractuelles avec les libraires et imprimeurs afin qu’il la conserve. En revanche, ces mêmes arrêts limitent strictement la durée des privilèges cédés ou octroyés aux éditeurs afin de préserver un domaine public. A l'instigation de Beaumarchais, le 9 décembre 1780 les droits des auteurs dramatiques sont fixés à 5 ans par un arrêt du Conseil d'Etat.

En 1791, la loi limite la durée des droits exclusifs de représentation et de reproduction respectivement à 5 et 10 ans après la mort de l’auteur. Passé ce délai, les œuvres tombent dans le domaine public et peuvent être librement et concurremment exploitées par tous. En 1866, la convention de Berne porte la durée des droits à 50 ans post-mortem. En 1957, la loi étendra encore la durée et fixera les dérogations, le tout repris dans la la directive européenne 93/98/CE, qui fixe notamment la durée de protection à 70 ans post mortem.

Et comme ce blog l'a montré régulièrement, de nombreuses tentatives existent pour encore agrandir encore le droit d'auteur et limiter le domaine public en dépit d'un intérêt économique limité. Comme le montre Calimaq sur son blog Scifolex, même les recettes de cuisines (librement copîables, éditables, retransformables) sont attaquées.

Du côté des biens communs, comme montré sur ce blog, la situation est peu ou prou la même on démarre avec des droits moyenâgeux (passage, glanage, paissance, cueillette...) en faveur du public, En 1215, en Angleterre, la charte des Forêts en limite la portée et définit le droit de propriété en faveur de quelques uns (les barons). Pour ne reprendre que le glanage, l'édit royal du 2 novembre 1554 d'Henri II avait pourtant tenté de graver dans le marbre l'équilibre en terme de glanage, lequel fut comme montré sur ce blog également attaqué et réduit.

En 1968, Garrett Hardin a publié dans la revue Science un article "La tragédie des biens communs" qui se base sur l'exemple d'un champ commun à tout un village, dans lequel chaque éleveur vient faire paître son propre troupeau. Il décrit l'utilité que chaque éleveur a à ajouter un animal de plus à son troupeau dans le champ commun comme étant la valeur de l'animal, tandis que le coût encouru par ce même éleveur est seulement celui de l'animal divisé par le nombre d'éleveurs ayant accès au champ. Rapidement, chaque éleveur emmène autant d'animaux que possible paître dans le champ commun pour empêcher, autant que faire se peut, les autres éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources communes, et le champ devient vite une mare de boue où plus rien ne pousse.

Porté au pinacle par les ennemis des commons, cet article méconnait totalement la réalité du terrain et des siècles passés où le système à bien fonctionné. Le bon sens paysan sur la pérennité à garder aux biens d'une part, le fait qu'on ne puisse pas ajouter un mouton sans l'acheter (et donc mobiliser un argent bien nécessaire ailleurs) d'autre part ne sont pas pris en compte. Les lies et passeries pyrénéennes dont certaines datent de 1171 fonctionnent encore et laisse paître et boire les troupeaux de gros et de menu bétail sans distinction d’espèce, appartenant à chacune des deux vallées signataires.

Comme le fait encore remarquer Calimaq sur un autre article, aujourd'hui l'exclusion forcée du champ commercial des variété de graines anciennes est encore un recul des commons puisque les semences libres ne sont pas protégées par des droits de propriété intellectuelle : elles appartiennent au domaine public et sont donc à ce titre, librement reproductibles, Comme ces semences appartiennent au domaine public, elles devraient aussi pouvoir faire l’objet, en tant qu’objets physiques, d’une libre commercialisation sur le marché.

Calimaq renvoie vers les analyses de l’historien Karl Polanyi dans son livre « La Grande Transformation » dans lequel il explique comment la « société de marché » s’est constituée et généralisée en produisant trois sortes de « marchandises fictives » : la terre (et plus largement la nature), le travail (l’activité humaine) et la monnaie. Dans sa vision, c’est l’inclusion forcée de ces trois biens essentiels dans les mécanismes du marché qui a permis à celui-ci de se « désencastrer » du reste de la société et de devenir le capitalisme.