Le propos du président du CGF pose crûment le débat, visant en particulier le modèle de fonctionnement de Geneanet, qu’il juge « insidieux », celui de Filae, moins critiqué est jugé « commercial pur ». Nous essayons de vous en faire rapidement un résumé dans le paragraphe suivant.

J-F Pellan, se demande si « certains généalogistes » ne se considèrent pas comme « adhérents » de Généanet ou des « aficionados de cette société ». Il s’émeut du fait que des informations apportées par son association se retrouvent sourcées sur des arbres en ligne de Généanet par des personnes qui ne sont pas adhérentes à son association, et pointe que le volume d’information libres sur le site de Généanet ne serve que de « tartine de miel pour mieux faire tomber dans le tiroir caisse de la société ». Il dénonce le fait que de nombreux bénévoles « donnent de leur temps » à une entreprise « afin de lui assurer développement et prospérité ». Il s’offusque du fait que Généanet demande à ses visiteurs de ré-indexer les images des archives du conseil général alors que cela a déjà été fait par le CGF, et que des indélicats peuvent être tentés de co-piller « ces travaux pour les distribuer chez ce commerçant ». Il reproche à certain de ses adhérents de « donner en toute innocence » à Généanet comme à Filae ce que le CGF a « collecté depuis des années », sans que ces sociétés ne donnent le moindre kopeck en retour à son association. Il termine en « ne contestant pas que ces sociétés apportent une certaine plus-value aux généalogistes », mais déclare que l’intérêt de ces sociétés ne doit pas être de « concurrencer outrageusement » les associations et les « mettre en péril » mais de « rechercher la complémentarité ».

Étant publiée sur le blog de Généanet la lettre ouverte a entraîné une flambée de réactions souvent très manichéennes d’internautes horrifiés que l’on puisse ainsi s’en prendre à leur totem. En laissant les commentaires ouverts, Geneanet a, de notre point de vue, validé le premier argument de J-F Pellan : certains généalogistes se comportent comme des aficionados avec cette société. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à Généanet, depuis les années 2000, certaines sociétés américaines (Apple, Tesla, Google, SpaceX … ) ou certains dirigeants, souvent des mêmes sociétés (Steve Jobs, Jeff Bezos, Larry Page, Sergey Brin …) ont réussi à transformer leurs clients en communauté de fans approuvant comme des moutons toutes leurs initiatives même les plus farfelues (souvenez-vous du lance-flammes d’Elon Musk).

Cette réponse publique de Généanet a deux avantages. Le premier est que la stratégie de cette entreprise est désormais publique et d’autre part qu’elle tente de répondre aux critiques du CGF.

Commençons par la stratégie : « Généanet se veut contributif, collaboratif et freemium ». Généanet « répond à la demande de ses membres d’accéder à des contenus généalogiques ». Si Généanet ne le fait pas, « les généalogistes privilégieront les sociétés concurrentes ». En appelant ses clients des membres, on voit que non seulement certains généalogistes ne se considèrent pas comme clients mais que Généanet non plus ne les considère pas comme des clients. A priori les membres sont les participants à une association. L’autre point que l’on peut retirer de cette stratégie est le motto que l’on peut résumer ainsi : si on ne le fait pas d’autres le feront et le marché se déplacera chez eux. C’est une excuse assez fréquemment utilisée par les startup pour s’exonérer de leur responsabilité morale. C’est dommage de tomber dans ce travers, même si commercialement il est difficile d'avoir une autre politique sauf à placer le débat sur un plan éthique. On voit donc que Généanet est, et se comporte comme, une entreprise commerciale.

Revenons maintenant au fond. Généanet propose donc du contributif gratuit (les arbres, des relevés et des photos de registres) dans lequel chacun est responsable de la stratégie de ce qu’il publie (à priori ses travaux), c’est un rôle d’hébergeur classique, spécialisé dans la généalogie avec des outils adaptés. Si c’est gratuit, c’est donc que le modèle économique est ailleurs (publicité, effet de volume pour attirer de nouveaux clients, tartine de miel pour attirer vers la partie premium), on est dans une situation classique de freemium. Ça semble gêner J-F Pellan, mais ça ne nous choque pas plus que ça.

Généanet propose ensuite du collaboratif. Là c’est l’entreprise qui a une stratégie et compte sur des bénévoles pour effectuer le travail. Ça nous gêne beaucoup plus, car c’est le modèle de fonctionnement des associations. Même si Généanet s’en défend, de facto on a une concurrence de la société avec des associations. Sauf que les moyens d’une entreprise ne sont pas les mêmes, elle a une visibilité qui lui permet de rechercher des bénévoles bien plus facilement qu’une association, elle a une capacité d’investissement dans des moyens largement supérieure. Normalement une société recrute des employés pour effectuer une tâche, ici le bénévolat lui permet de s’affranchir de ce point. Nous ne connaissons pas d’exemple de bénévolat dans d’autres entreprises. Le nombre de bénévoles n’est à notre humble avis pas infini, et donc lorsque Généanet mobilise des bénévoles, ces derniers ne peuvent pas simultanément réaliser un projet pour une association, c’est donc au détriment des associations.

Enfin, Généanet propose des ressources spécifiques à ses clients premium, rien à redire.

Généanet (et un bon nombre des commentaires sur leur blog) posent ensuite la confrontation en terme de bataille des anciens contre les modernes, le CGF étant vu comme un dinosaure qui serait rétif au changement informatique, ce qui est assez contraire à la réalité des dernières années. Il suffit de regarder la vivacité du site de ce cercle qui est d’ailleurs le plus gros de France, pour comprendre que c’est un faux procès. Le CGF est présenté comme « une association qui défend un modèle en grande partie fermée », alors que Généanet se présente comme « une société qui défend un modèle ouvert et gratuit ». A notre avis c’est assez exagéré, il est peu probable que si on demande à Généanet une copie de ses bases de données, il soit prêt à les communiquer, donc le modèle n’est que partiellement ouvert. D’autre part, Généanet a une part payante, donc ils ne sont que partiellement gratuits. Il ne faut enfin pas oublier non plus que comme l’a dit l’écrivain et théoricien des médias Douglas Rushkoff « si une entreprise vous offre un service gratuit sur internet, c’est que vous êtes le produit et non le client ». Une association peut faire de l’abnégation mais une entreprise a des objectifs financiers à réaliser. Donc leur philanthropie n’est à notre avis qu’apparente.

Cela dit il est vrai et nous l'avons souligné plusieurs fois dans ce blog, que la stratégie d'association fermée qui n'offre rien à la communauté des généalogistes qui ne payent pas une cotisation, est de moins en moins tenable.

Généanet reproche ensuite au CGF son mode de fonctionnement en mettant en valeur le fonctionnement d’autres associations. C’est pour moi assez malvenu de la part d’une entreprise de venir dire à une association comment elle doit fonctionner, voire d’appeler publiquement ses adhérents à se plaindre. Ce qui peut chagriner certains est qu’en lançant des projets collaboratifs à assise française voire européenne, Généanet force la main des cercles qui se retrouvent devant le choix suivant : ou leur donner leurs recherches sur le sujet, ou laisser des bénévoles refaire ce travail (voire le piller) au risque qu’ils créent une association concurrente.

Pour conclure, cette analyse ne se veut pas être une charge contre Généanet ou contre le CGF mais plutôt une analyse des propos tenus par les deux protagonistes, qui apportent un certain nombre de choses (différentes) aux généanautes dans des modèles différents.